De l'origine de la terre des éléments
Histoire orale.
Ayant pensé ce monde, l'Unique sépara quatre filaments de son esprit afin qu’ils lui donnent substance et le façonnent à Son idée puis Il reporta un temps Son attention
sur d’autres pensées. Les filaments travaillèrent le néant pour en extirper une Matière Brute apte à être modelée selon Sa vision. Elle était plus qu’inscrite au fond d’eux, elle était leur
essence même. Eux quatre ne formaient encore qu’un, un entre eux, un avec Lui.
Il en fut ainsi pendant un morceau d’éternité au cours duquel ils façonnèrent cet espace où est situé notre monde. Tout entiers
attelés à cette œuvre ils n’avaient (hélas ou heureusement selon le point de vue) pas le pouvoir de l’Unique. Issus de Lui, faisant partie de Lui, ils n’étaient pas Lui. Au fur et à mesure qu’ils
travaillaient la matière, celle-ci les côtoyait, les enveloppait et pour finir les imprégnait.
La matière disparate et imparfaite différencia ainsi les filaments. Leur unicité se rompit et ils prirent forme selon la matière qui
s’était agglomérée en eux. Ainsi furent créés puis (dé)formés Posicillon, Fimine, Eolia et Vulfume.
Les créations des quatre devinrent à leur tour teintées par la substance dominante de leur géniteur. Tout d’abord de manière
inconsciente puis, au fur et à mesure que les quatre prirent conscience de ce qu’ils devenaient, ils intégrèrent volontairement une partie d’eux-mêmes dans chaque création. Les formes et êtres
ainsi créés devinrent de moins en moins stables, un certain nombre ne survivant pas et les autres, incomplets, ayant du mal à évoluer.
Une sorte de compétition s’instaura alors entre ces 4 dieux et ce fut à celui qui créerait quelque chose capable de résister au
temps et de soumettre les créatures façonnées par les autres dieux. Nul ne sait combien de temps dura cette course à la performance entre les quatre mais elle se transforma inexorablement en une
guerre divine à côté de laquelle le Cataclysme que nous connaissons fait pâle figure. Peu de choses nous restent de cette période mais la faible connaissance que nous en avons est suffisante. Ce
fut une ère où proliférèrent des noirceurs et des éclats foudroyants dont les noms mêmes recelaient de dangereux pouvoirs. Espérons donc que rien ne subsiste à ce jour car même le plus infime
résidu de ce savoir pourrait dévoyer le monde actuel.
Or donc cette ère funeste prit fin un jour. Intervention de l’Unique, prise de conscience des quatre ou autre, la raison en est
tombée dans l’oubli. Cependant, pour recréer un peu d’ordre dans ce chaos, l’Unique prit une dernière partie de Lui afin de donner naissance à un être capable de réunifier l’œuvre des quatre
dieux.
Malheureusement cette entité hésitait entre deux marches à suivre : détruire ce qui avait été engendré et déformé pour recommencer à
zéro ou laisser vivre l’existant en le laissant s’améliorer au contact d’autres œuvres plus abouties. Tiraillé entre ces deux options si fortement, son unité fut elle aussi brisée et il donna
naissance à deux êtres opposés :
- Quen
respectait toutes les créations de l’Unique ainsi que celles des autres dieux car elles possédaient un souffle de l’Unique aussi infime soit-il : il se concentra sur la création d’êtres plus
proches de la vision de l’Unique et donc habités en parts égales par les quatre éléments.
- Niue considérait que toute création ne pouvait s’éloigner de la vision que l’Unique en avait sous peine
d’annihilation. Il s’évertua donc à détruire toutes les créatures qu’il jugeait indignes. N’étant pas assez puissant pour détruire les quatre aberrations élémentaires comme il les appelait, il
s’efforça par tous les moyens de détruire leurs créations.
Si les quatre avaient cessé leur surenchère destructrice, ils n’étaient cependant pas encore résolus à travailler de concert ni même
à accepter l’aide ou les conseils de Quen. De son côté Niue ne resta pas inactif, et pendant que les propositions de réconciliation de son opposé se heurtaient à une fin de non recevoir il
profita de la désunion qui régnait pour ourdir de sombres machinations. La plus terrible d’entre elles étant l’avènement de ceux que l’on nommera plus tard les Gardiens de
l’Épouvante.
Les dieux devinrent plus attentifs pourtant après la bataille du carrefour de Tael Loht où le plus puissant clan de la race des
dragons sorciers, emmené par le redoutable Siktaar, se heurta aux Gardiens de l’Épouvante alors peu connus. Habitués à des combats aussi brefs que violents, ils furent déstabilisés par la
résistance qu’opposèrent ces nouveaux combattants. L’affrontement dura des heures et des jours, penchant d’un côté ou de l’autre suivant la tournure des évènements et les imprévus inhérents à
toute lutte jusqu’à cette fatidique 94ème heure qui vît choir Siktaar. Son trépas scella le destin du clan car, privé du catalyseur de magie qu’était leur seigneur, les autres dragons virent leur
puissance magique considérablement amoindrie. Leur anéantissement fut presque total car seul deux membres du clan survécurent.
On se rendit compte par la suite de ce mode opératoire que respectaient les Gardiens de l’Épouvante : que leurs adversaires se
rendent ou non, ils étaient quasiment tous massacrés à l’exception de quatre qui étaient fait prisonniers. Leur sort n’était pourtant pas plus enviable car ils étaient torturés jusqu’à ce que
deux d’entre eux livrent des informations. Les quatre étaient ensuite réunis et on leur annonçait le nom de ceux qui n’avaient pas résisté au questionnement ainsi que les informations qu’ils
avaient fournies. Ceux-là étaient enfin libérés afin de narrer la défaite à leur camp et de susciter la peur. On ne revoyait jamais ceux qui avaient résisté plus longtemps. On suppose qu’ils
étaient de nouveau torturés jusqu’à la mort mais connaissant la noirceur des intentions de Niue on ne peut en être sûr.
L’issue eut pu être différente si d’autres clans leur avaient prêté main-forte. Mais bien qu’ils aient eu vent de ce qu'il se
passait ou qu’ils aient assisté à la déroute pour certains, aucun n’avait pressenti le danger et la nécessité de s’unir pour faire face à cette nouvelle menace. Cet épisode marqua un tournant
dans la vie des hommes et des bêtes peuplant la Terre des Éléments car si jusqu’à présent ils avaient lutté pour établir la suprématie de leur élément, ils devaient dorénavant lutter non moins
farouchement pour leur simple survie.
Il fallut l‘intervention des dieux pour empêcher l’éradication de toutes les formes de vie qui se profilait dans un proche avenir.
Certains des Gardiens purent être détruits et d’autres, trop puissants, virent leurs esprits et leur corps (la traduction de certains ouvrages laisserait entendre que plusieurs esprits
résideraient dans le corps de chaque gardien) séparés puis éclatés en morceaux. Ces éclats furent alors scellés dans divers réceptacles vivants ou inertes.
Aujourd’hui encore ces actes nous poursuivent. Comment peut-on ne pas
s’interroger par exemple sur ce qui est arrivé à Rebom ? Malgré des pratiques douteuses, il avait maîtrisé les quatre éléments et son être avait atteint un temps l’unicité recherchée par Quen.
Niue quant à lui ne l’entendait pas de cette oreille il ne pouvait concevoir qu’une imperfection puisse se transformer et rejoindre SA vision. Il y a fort à parier qu’il est à l’origine de la
perversion finale de Rebom qui le transforma en une de ses ombres servantes.
Le puissant Pohl
Rapportée par l'historien Mac Mounello.
Cette légende vient d'un temps ancestral, peu de temps après la création même de
notre monde. Ayant recoupé plusieurs histoires de villages, ainsi que divers témoignages d'ancêtres, j'en suis arrivé à être presque convaincu moi-même de l'existence de ce terrible Pohl.
Car oui, on dit bien UN Pohl.
Mais commençons par le commencement, comme le dirait mon Maître.
En l'an de grâce
5000 avant le cataclysme (à savoir la guerre des éléments), chacun vivait en parfaite harmonie sur nos terres.
La seule réelle menace était les dragons, mais elle était réelle et persistante.
Certains villages brûlaient, leurs habitants étaient dévorés ou simplement brûlés vifs, les récoltes étaient impossibles dans toute la partie du monde dominée par les dragons.
Le concile des Maîtres (qui regroupait les quatre maîtres des éléments) décida que la menace devait être éradiquée et il fut ordonné aux plus puissants nécromants et mages de chaque élément de
trouver une solution à la terreur des dragons.
Les recherches durèrent des années, mais un beau jour (ou sombre, cela dépend des versions), ils réussirent à créer ce qu'ils nommèrent POHL.
Un croisement entre un humain, un loup, un ours et un phénix (d'où son nom : P(hénix)O(urs)H(umain)L(oup)). L'être ainsi créé avait apparence humaine, doté d'une force herculéenne, du don de
nyctalopie (vision de nuit), d'un flair extraordinaire et d'une prédisposition à la magie peu commune (en particulier grâce à son intelligence extrême).
Les nécromants et les mages lui enseignèrent donc leur savoir et les plus puissants guerriers et archers lui apprirent le maniement de toutes les armes.
Fin prêt en peu de temps, le résultat fût au delà des espérances du concile. En effet, le Pohl parvint rapidement à terrasser les dragons (sauf un qu'il ne parvint jamais à trouver : le dragon
multicolore).
Mais le Pohl n'était pas né pour être serviteur des humains. La liberté lui manquait... Pouvoir vivre pour lui-même, pouvoir donner des ordres à son tour... Voilà ce qu'il voulait...
Il parvint donc un jour à prendre la fuite et s'installa sur les anciennes terres d'un dragon, y faisant régner sa propre loi, et par là même la terreur et la force. Il leva même une armée pour
protéger ce qu'il considérait comme ses terres, et nul n'avait le droit d'y entrer sans sa permission.
Le concile, fou furieux de cet état de fait, lança plusieurs attaques contre le Pohl, mais aucune n'aboutit, l'être étant plus malin et plus fort.
Mais un jour, un mage puissant eu l'idée d'enfermer le Pohl dans un champ d'énergie élémentaire, mélangeant la force de chaque élément (donc avec l'aide de mages de tous les éléments), afin qu'il
ne puisse plus sortir de son château.
Et cette idée marcha merveilleusement. Le Pohl se révéla incapable de contourner la magie d'emprisonnement.
Tout fut alors fini. Tout ?
Hé bien j'ai retrouvé un de ces mages, Moula, et ses révélations, que je vais vous retranscrire, laissent à penser qu'il n'en est
rien.
Le vieux mage, en fin de vie, me murmura à l'oreille ce que je considère comme son testament, et peut être la prophétie de la fin du monde :
« Le Pohl ? Prisonnier ? Oui certainement dans le temps... Mais la guerre a séparé les éléments, et notre magie n'a plus été combinée pour préserver sa prison... Je ne sais si le sort a tenu
malgré tout... Le bouleversement de la guerre a détruit bien des choses... Oui, bien des choses... Le Pohl peut très bien être en liberté maintenant, et avoir repris le contrôle de sa région...
Nul ne va plus par là bas de toute façon, tout a été détruit pendant la guerre... »
Le dragon multicolore
Rapportée par l'historien Mac Mounello.
Peu de temps après la création de la terre des éléments (en l'an 6000 avant le cataclysme), il s'avéra que notre monde regorgea vite de richesses extraordinaires.
Et qui dit richesses, dit convoitise, en particulier du plus avide de métal précieux de toutes les bêtes de la création : le dragon.
Comme chacun le sait, un dragon est une créature féroce, cruelle et voleuse. Il s'agit d'un reptile ailé, d'une force et d'une résistance extraordinaires, soufflant le feu et qui est rattaché à
un élément le plus souvent.
La résistance des dragons est due à leur cuirasse, constituée par la pierre qu'ils trouvent le plus facilement dans leur élément, et qui leur donne leur couleur.
Ainsi, les dragons d'eau étaient-ils bleus, du fait de leur armure en diamants, les dragons de terre verts, du fait de leur armure en émeraudes, les dragons de feu rouges, du fait de leur armure
en rubis et les dragons d'air jaunes, du fait de leur armure en topazes.
Chaque dragon vivait donc proche de son élément, mais celui qui nous intéresse ici était spécial car il était né sans élément spécifique et il convoitait toutes les pierres possibles, se créant
ainsi une armure multicolore, plus résistante que toute autre.
Ce dragon se nommait Raug le multicolore et était le plus sanguinaire de tous les vers (autre nom donné aux dragons) de la terre des éléments. Certains vont même jusqu'à avancer qu'il était le
chef de tous les dragons.
Et en effet, il semble que tous les autres vers le respectaient au point de ne jamais l'attaquer et pire encore pour un dragon, de lui donner des pierres précieuses.
De même, aucun dragon ne vint lui contester les faveurs de la seule dragonne de nos terres, Maug la rouge.
Ainsi Raug régna sur une partie des terres du nord jusqu'à l'arrivée du Pohl.
Les dragons furent vaincus les uns après les autres, et il semblait que seul Raug pouvait avoir une chance contre lui.
Malheureusement pour les dragons, s'ils sont cruels et malveillants, ils sont aussi très protecteurs avec leur famille, et il s'avéra que Maug venait de mettre bas une portée de dragonnets. Dès
lors Raug se trouva devant un choix difficile : combattre le Pohl, avec une issue incertaine, pour sauver les dragons ou fuir avec sa famille pour la protéger.
Il fit le choix funeste pour sa race, à savoir fuir, loin au sud, dans les contrées glacées en se faisant le plus discret possible.
Ici j'ai perdu la trace du dragon. Certains affirment que le Pohl l'a retrouvé et tué, mais je doute de cette version, car il n'est fait mention nul part d'un
affrontement entre les deux, ce qui me semble très étonnant.
D'autres affirment qu'il vit encore dans les grottes de glaces avec sa famille et que le cataclysme lui a donné l'idée de ressortir pour dominer ces terres de froid.
Je crois plus volontiers à cette version car divers témoignages de découvertes de corps brûlés, mutilés ou mangés à moitié commencent à nous parvenir du Sud.
La terreur de Raug va-t-elle renaître ? Le dragon multicolore va-t-il revenir prendre possession de ses terres ?
Le chevaucheur de phénix maudit
Rapportée par l'historienne Toutille.
Je tiens cette
légende d'un vieux sage. Bien qu'il m'ait dit avoir 70 ans à l'époque, je me demande encore aujourd'hui s'il n'était pas beaucoup plus âgé et gardé en vie par une magie puissante. En fait, je
pense qu'il s'agissait de...
Mais non, je vais trop vite, il faut d'abord que je vous rapporte ce qu'il m'a dit.
Une fois les dragons disparus de la surface de nos terres (du moins en apparence) et le Pohl emprisonné, le concile se demanda comment faire régner la paix et éviter que d'autres monstres ne
viennent troubler la paix de nos terres.
Pour ce faire, il trouva l'idée de créer une caste mélangeant humains et phénix. Car loin d'être un simple animal, le phénix est un être doué d'une intelligence aiguë couplée à une puissance
magique hors norme.
Mais le phénix étant aussi un être fier et droit, il n'acceptait d'être chevauché que par des humains au cœur pur et à la puissance magique très évoluée. De plus, cet humain devait maîtriser
l'art de la télépathie afin de pouvoir communiquer avec son phénix associé.
En fait, les couples formés ainsi étaient plus que de simples amis, ils ne formaient qu'un, un amour quasi fusionnel les habitait.
Un des plus puissants chevaucheurs avait pour nom Kilinaë. Sa bravoure et son courage n'avaient d'égal que son charisme et sa puissance.
Son phénix, du nom de Killar, était la plus belle et la plus puissante de sa race.
Un jour, contre l'avis du concile et des sages de sa caste, Kilinaë décida d'aller affronter les géants de lave qui envahissaient les terres de l'Est. Il parvint à convaincre deux jeunes recrues
de l'accompagner.
Mais il s'avéra que les géants étaient beaucoup plus nombreux qu'il ne l'avait présagé... et beaucoup plus rusés !
Ainsi, les trois chevaucheurs tombèrent dans une embuscade et ce fut un massacre... Seul Kilinaë réussit à éviter la mort... Du moins la mort physique, car la perte de Killar fut pour lui
impossible à supporter...
De retour auprès des sages de son ordre, plein de rage et de rancœur, il exigea qu'on lui donne le commandement de la troupe des chevaucheurs pour aller venger les morts.
Mais cela lui fut refusé. Il demanda alors qu'on lui donne au moins un autre phénix, pour aller combattre seul, mais il s'avéra que son état était tel qu'aucun phénix ne voulait de lui, il fut
alors maudit par le conseil des sages de sa caste.
Fou de douleur, il s'exila dans les montagnes et vécu quelques années en reclus, du moins en apparence.
En fait, il avait réussi à convaincre un jeune apprenti que les sages étaient dépassés par les événements et qu'il fallait les renverser.
Aidé par son disciple, il vola un œuf de phénix et l'entretint jusqu'à éclosion.
L'oisillon ainsi né, Kilinaë pu le façonner à sa convenance.
Arriva donc le jour où le phénix devint mature. Grand, majestueux et puissant, mais le cœur aussi noir que son cavalier. Le duo s'avéra vite d'une puissance extraordinaire et parvint à détruire
ou rallier la plupart des chevaucheurs.
Seul le plus sage d'entre eux, du nom de Carinaë résista et défia Kilinaë en combat singulier. Le combat fut épique et le plus vieux des deux prit le dessus. Mais son cœur pur le trahit, car au
moment de porter le coup de grâce, il ne put s'y résoudre, ce qui laissa le temps à Kilinaë de se reprendre et de le blesser gravement.
Carinaë fut sauvé de la mort par son phénix, qui l'attrapa et l'emmena au loin. L'histoire ne fait plus mention de lui à partir de ce jour.
Dès lors, Kilinaë devint le chef du peu de chevaucheurs restants, et dans sa folie il interdit que d'autres phénix que les leurs voient le jour.
La légende raconte également que pour garder son pouvoir, Kilinaë avait fait une alliance avec un être sombre, dont le but était de détruire le concile, car du fait des actions du chevaucheur
maudit, le concile ne disposait plus de sa principale protection.
Lors du cataclysme, Kilinaë et ses partisans tentèrent de s'emparer du pouvoir pour eux seuls, mais trop peu nombreux, ils furent décimés les uns après les autres, et avec eux disparu la
tradition des chevaucheurs de phénix et les phénix eux-mêmes.
Enfin, c'est ce que l'on croit, car le vieil homme me confia qu'il existait peut être encore un œuf de phénix que Carinaë aurait caché.
En fait, je crois que le vieil homme que j'ai rencontré n'est autre que Carinaë et qu'il doit sa vie et sa longévité à son phénix. Mais il ne semblait pas disposé à m'en dire plus… Peut être un
jour trouvera-t-il quelqu'un à qui confier ses secrets...
Les quatre chevaliers
Rapportée par l'historienne Malinia.
La terre des
éléments a connu de multiples exploits réalisés par des hommes dont la bravoure est devenue légendaire.
Néanmoins, toutes les aventures n'ont pas de fin heureuse et tous les héros n'ont pas vu leur renommée perdurer...
Les chevaliers dont je vais rapporter les faits et gestes ici font partie de cette catégorie et pourtant ils auraient plus mérité d'être honorés que certains...
Notre histoire commence donc en l'an 100 avant le cataclysme. Quatre jeunes amis (chevaliers de par le sang)- un guerrier, un rôdeur, un mage et un nécromant- représentant les quatre éléments
(Guerrier de feu, Rôdeur de la terre, Mage de l'air et Nécromant de l'eau) s'ennuyaient dans le calme apparent de nos terres.
Aventureux et ambitieux, ils cherchaient un moyen d'acquérir renommée et faste.
Par un beau et chaud jour de Braisa, alors qu'ils étaient à la pêche, les amis rencontrèrent un étrange personnage, recouvert entièrement
par une grande robe à capuchon (alors qu'il devait faire plus de 30 degrés). Seuls ses yeux qui brillaient dans l'ombre de son capuchon étaient visibles. L'homme ou la chose dit alors d'une voix
caverneuse qu'on aurait dit sortie d'outre-tombe :
« Bonjour à vous mes jeunes amis, on me dit partout dans le village que vous seriez prêt à vous engager dans une aventure, même très périlleuse, est-ce juste ? »
« Heu et bien, cela dépend... » commença le mage.
« Mais oui, bien entendu » coupa le guerrier.
« Ne nous emballons pas » avança le nécromant.
« Mais si !! Allons-y » finit le rôdeur.
« Non mais... » essaya de continuer le mage.
« Mais si, mais si !! » coupa encore un fois le guerrier.
« Dites... Si je vous ennuie et que vous voulez vous battre, je peux aller voir d'autres personnes... » dit l'homme.
« NONNNNNNN » dirent les quatre en chœur.
« Bien... Il semble que votre différend soit réglé » s'amusa l'inconnu « Je vais pouvoir vous confier cette quête, mais avant tout, allons chez l'un de vous pour dîner, il commence à se faire
tard, je vous dirai tout là-bas »
Une fois rassasié, l'énigmatique étranger narra aux quatre amis l'histoire suivante :
« La fille du Seigneur Coloi –du nom de Fulinia- des terres de l'Est a été tuée et brûlée en sacrifice par les Serpitans et... Quoi ?? Que sont les hommes Serpitans ?? ... Vous ne le savez pas
?!... Et bien ce sont des créatures puissantes, mi-hommes, mi-serpents qui possèdent des pouvoirs magiques et une force hors du commun et... »
« Moi je suis certain qu'ils n'ont pas ma force » dit le guerrier.
« Ni mon intelligence » dirent le mage et le nécromant en choeur.
« Ni ma ruse » ajouta le rôdeur.
« Hum... Si vous le dites... Bref... Donc la fille du Seigneur... » tenta de reprendre l'inconnu.
« Et si je les croise, je suis sûr que j'en abats cinquante avant qu'ils ne comprennent » fanfaronna le guerrier.
« Seulement cinquante ?? » s'amusa le mage.
« LA FERMEEEEEEEEEE !! » s'énerva l'homme « Vous allez m'écouter oui ?? »
« Désolé » répondirent-ils en baissant la tête.
« Bien... Où en étais-je ?? Ah oui, la fille du Seigneur, tuée et brûlée... Et bien ce noble homme désire récupérer les cendres de sa fille, que les Serpitans gardent dans une urne, comme tous
les autres sacrifices humains qu'ils font. Votre mission sera donc d'aller récupérer les cendres et de les ramener au père de la défunte... Pour cet exploit, votre nom sera béni et vous recevrez
également une rémunération intéressante ! »
Les amis se consultèrent à voix basse et répondirent :
« Cela nous semble faisable... Nous nous mettrons en route dès demain »
Ainsi firent-ils donc, et je passe sur les petites aventures qui leur arrivèrent en chemin pour retrouver nos chevaliers à l'entrée de la grotte aux sacrifices des Serpitans.
Par chance, il ne semblait y avoir que deux gardes à l'entrée, mais le débat faisait rage entre les amis.
Le guerrier voulait bien entendu foncer dans le tas, le nécromant était d'avis de tenter un sort de loin pour les affaiblir, le rôdeur comptait attendre et étudier le terrain pour être certain du
nombre d'adversaires et le mage souhaitait avant tout cueillir quelques plantes médicinales au cas où... Le ton montait entre eux quand tout à coup le rôdeur demanda où était passé le
guerrier.
Le mage et le nécromant levèrent les yeux pour constater qu'il était déjà aux prises avec les gardes Serpitans, et qu'il était même en fâcheuse posture...
Les trois s'élancèrent alors pour aider leur ami.
C'est alors que deux autres ennemis, qui étaient en faction derrière les buissons, apparurent.
Le combat fut difficile et acharné, mais les amis remportèrent la victoire... Malheureusement celle-ci eut un goût amer... En effet, le guerrier était mortellement blessé... Et même le mage ne
put lui venir en aide... Ce fut donc les yeux larmoyants que les survivants s'emparèrent de l'urne.
Chemin faisant ils firent halte dans une forêt pour passer la nuit.
Vers trois heures du matin, un bruit étrange, ainsi qu'une grande sensation de froid les réveillèrent.
Là, un ectoplasme s'adressa à eux :
« Je vous salue nobles aventuriers, je suis le fantôme de celle qui fût autrefois Fulinia. Je viens vous trouver car... »
« Oui, oui on sait, vous êtes heureuse et vous voulez nous remercier » dit le rôdeur.
« Vous allez nous bénir par votre gratitude et votre père sera apaisé », ajouta le nécromant.
« En fait pas vraiment... » reprit la voix éthérée.
« Pourquoi ? » s'écrièrent les amis.
« Et bien... Comment vous dire... Vous n'avez pas pris la bonne urne ! »
« QUOIIII ?? »
« Oui... Les Serpitans font beaucoup de sacrifices... Et mes cendres se trouvent dans l'urne violette... »
Voilà qui était en effet fâcheux. Secoués par la nouvelle, nos aventuriers décidèrent de retourner à la grotte dès le lendemain pour terminer leur quête. Moins par
réelle envie que pour honorer la mémoire de leur ami perdu.
Ainsi agirent-ils, mais le sanctuaire des Serpitans ayant été violé déjà une fois, l'opposition s'en trouva décuplée... A tel point que le mage et le nécromant succombèrent au combat.
Le rôdeur parvint à s'extirper de la grotte avec l'urne... Mais pas indemne. Seul son courage le faisait encore tenir debout... Il parvint néanmoins à cacher l'urne avant de rendre l'âme.
Ainsi se scella donc le destin des quatre chevaliers. Leur quête ne fût donc ni une réussite, ni un échec, car l'urne n'a certes pas été rendue au Seigneur, mais elle n'est plus entre les sales
mains des Serpitans.
De la lumière à l'Ombre
Rapportée par l'historien Mac Nalima.
Le Grand Cataclysme fut, comme chacun le sait, une période où les éléments se
combattaient sans vergogne pour la domination du monde, sous l’égide de leurs dirigeants respectifs.
Néanmoins, un des principaux généraux de la Terre, du nom de Rebom, était entré en conflit avec son dirigeant, car la politique de ce dernier lui semblait ne pas convenir pour une victoire
totale.
Ingénieux et doué pour la magie, le général avait un plan pour enfin mettre un terme à la guerre : au lieu de vaincre par les armes, il pensait réunir en une seule personne (lui en l’occurrence)
tous les pouvoirs de chaque élément. Ainsi, l’être parfait qu’il serait devenu régnerait sans contestation sur le monde.
Mais pour se faire, il fallait réunir une grande quantité d’énergie des trois éléments manquants (puisque, rappelons-le, il était de l’élément terre).
Rebom envoya alors ses fidèles soldats (qui tenaient plus de soudards que de soldats d’ailleurs) à la chasse pour récolter le maximum d’esprits possible. Mais malgré le nombre impressionnant
ramené, il ne parvenait pas à faire pénétrer en lui l’énergie des autres.
Dés lors, il en déduisit que pour que cela fonctionne, il fallait des esprits humains, et non de simples bêtes.
Ce qui se passa alors représente une des périodes les plus sombres de notre histoire. Rebom et ses assassins passèrent des années à massacrer, broyer, torturer tous les membres des éléments
qu’ils pouvaient rencontrer, femmes et enfants compris.
Mis au courant de la situation, le dirigeant de la Terre banni Rebom, et lui retira son appartenance à son élément.
Loin de l’anéantir, cela ne fit qu’augmenter les massacres, puisque maintenant, il tuait aussi les gens de la Terre.
Profitant de la guerre (qui empêchait les éléments de se mettre d’accord pour l’arrêter), il parvint enfin à récolter assez d’esprits humains.
S’enfermant dans une des tours de son château, il enclencha le procédé de magie noire qui lui permettrait d’ingérer les esprits et de devenir ainsi l’être suprême.
L’opération fut un succès… Du moins pendant exactement quatre jours. Quatre jours pendant lesquels Rebom apparut à tous comme un être irradiant la lumière et tout puissant, quatre jours où il
savoura le pouvoir ultime et inconditionnel… La guerre s’arrêta même pendant cette courte période !
Mais Rebom n’eut pas le temps de profiter de cet état... Car la puissance de la formule avait détruit son âme, et à l’aube du cinquième jour, il disparut...
Enfin, pas complètement, mais il devint immatériel et la lumière en lui disparut... Il était devenu une ombre...
On raconte que depuis ce temps, Rebom se fait nommer « l’Ombre
suprême » et tente de recouvrer sa nature humaine par tous les moyens...
L'elfe et le leidith
Rapportée par l'historien Ystoryos.
La côte d’Irliscia n’était encore qu’une ligne abstraite à l’horizon. Et pourtant, dans la tête du jeune Jabus, les images défilaient déjà à foison. C’était un sentiment indescriptible. Lui qui n’avait jamais connu que Leiden, la découverte d’une nouvelle terre l’excitait terriblement, à tel point qu’il se laissait porter par les idées les plus folles et les plus saugrenues. Ses sens étaient en ébullition. Observerait-il de nouvelles couleurs ? Sentirait-il de nouvelles odeurs ? Y aurait-il de nouvelles espèces ? L’eau s’écoulerait-elle toujours du haut vers le bas ? La glace serait-elle toujours aussi froide ?
Après tout, il ne connaissait les choses qu’au travers du prisme de son île, et il ignorait tout de ce qu’il s’apprêtait à découvrir. Son père avait pourtant bien connu ce continent, il y a de cela bien longtemps. Mais il n’en avait jamais touché mot, tant son esprit était occupé par la vengeance qu’un jour il ferait subir à ces peuples. Depuis sa naissance, il n’entendait parler que de cela. Il avait entendu l’histoire des centaines et des centaines de fois : l’éradication de tous les dragons – ou presque -, la révolte des mages, l’emprisonnement de son père, puis sa libération. Ce n’est qu’une fois au Leiden qu’il s’était épris d’une humaine, et de leur union était né Jabus. Même cet amour n’était qu’un vague arrière-plan dans le spectacle de vengeance dont il rêvait chaque jour. Il ne savait pas si son père avait souhaité l’associer à cette soif de vengeance, mais cela ne l’intéressait pas. Bien au contraire, cela ne fit que l’éloigner davantage de son père et de ses motivations obscures, tandis que se développaient peu à peu une autre envie, grandissante et irrépressible. Celle de s’aventurer sur ces terres dont on lui parlait tant, mais qu’on lui avait si peu décrite.
Aujourd’hui, il était temps. Il avait l’âge de se débrouiller par lui-même, et surtout, il avait fait le tour de Leiden.
[***]
Son équipe avait à peine amarré le bateau que le jeune Jabus glissait déjà ses pieds entre les grains du sable blanc irliscien. Ses yeux se posaient partout, et très vite, son regard fût attiré par quelques curiosités des alentours, et notamment quelques bestioles qu’il n’avait jamais vu auparavant. Pas effrayé, il arrêta un instant son regard un peu plus loin sur la plage, où de grands vers terrifiants et désarticulés venaient frapper leurs queues massives sur les falaises de roche. Ils n’avaient pas l’air bien dangereux, plus occupés à faire du bruit qu’à chasser les méduses qui faisaient danser leurs tentacules sous l’onde. Il observa la scène un instant, avant de détourner son regard sur l’étendue d’eau à ses pieds. A proximité du rivage, il distingua une rangée d’écailles qui flirtait élégamment avec la ligne d’eau. L’ombre longiligne se faufila entre les vagues avant de disparaître. Il poursuivit de la sorte pendant un long moment, à l’affût du moindre bruit, du moindre mouvement.
Bien que fasciné par toutes ces découvertes, il réalisa néanmoins très vite que ce monde n’était pas si différent du sien. Bien sûr, il semblait avoir ses spécificités et ses subtilités, mais sa forme et son contour lui étaient familiers. La vie paraissait s’y écouler comme partout ailleurs. Pas de quoi remettre en cause ce voyage pour autant. La moindre découverte enrichissait un peu plus son âme aventureuse, et il n’en demandait pas plus.
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Attiré par le boucan que l’amarrage du bateau faisait entendre, Saelvarr Tha s’approcha et se mit à rôder l’air de rien à quelques encablures de la plage. Il s’en approchait assez peu, lui préférant les étendues verdoyantes de la forêt et des marécages adjacents. Afin de dominer la zone, il se jucha sur la branche d’un arbre, d’où il pouvait distinguer nettement l’équipage qui s’agitait sur le pont du bateau. Le vacarme s’entendait jusqu’à l’orée de la forêt. A quelques mètres du bateau, un jeune garçon errait. Il avançait de quelques pas, avant de rebrousser chemin ou de changer de direction. Il regardait d’un côté, puis de l’autre. Parfois il s’abaissait, avant de se relever aussi vite. A cette distance, il n’était pas aisé de comprendre ce curieux comportement.
Au bout d’un moment, le jeune homme s’arrêta. Peut-être s’était-il épuisé tout seul ? L’elfe, lui, l’était, à la simple vue de tant d’agitation, aussi lointaine soit-elle. Le spectacle était toutefois assez divertissant. Il connaissait les elfes sur le bout des doigts, mais les humains continuaient de le fasciner.
Comme la représentation du petit humain semblait avoir pris fin, l’elfe songea à rentrer chez lui. Mais il hésitait. Devait-il redescendre ou allait-il suivre la « voie des arbres » ? C’est ainsi qu’il aimait à appeler cet itinéraire secondaire, et sinueux, qui consistait à rejoindre son foyer sans jamais toucher terre, en progressant d’une branche à l’autre.
Mais il fût vite extrait de ses pensées lorsqu’il se rendit compte que le jeune garçon s’était remis à marcher, droit dans sa direction.
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Jabus laissa la plage derrière lui. Il aurait bien le temps d’y revenir plus tard. Il s’était mis dans l’idée d’en voir le plus possible, et de ne s’attarder que si cela était nécessaire pour satisfaire sa curiosité. Il avait tout de même un équipage entier à son service – un des seuls avantages à être le fils du Pohl -, et il ne souhaitait pas les faire attendre inutilement. Rester en mouvement était aussi bien plus prudent. En l’occurrence, ce n’était pas la plage qui l’intéressait le plus… Leiden était une île, et par la force des choses, était cernée de ces mêmes étendues de sables.
Son œil était désormais attiré par une masse compacte et impénétrable au regard : la forêt d’Irliscia. Les rayons du soleil peinaient à filtrer, si bien que les feuilles arboraient des teintes sombres, allant du vert foncé au noir. Sans détour, il s’y dirigea. Cela ne semblait pas si loin. Alors qu’il avançait, quelques bruits métalliques se firent entendre vers l’Est. Ce son ne lui était pas familier, mais il comprit très vite de quoi il s’agissait.
Sur une dune cernée de prairies herbeuses, des combats faisaient rage. Des silhouettes se mêlaient dans une valse de gesticulations incompréhensibles. Certains maniaient la hache, d’autres l’épée, ou la lance. A cette distance, il n’était pas simple de les distinguer.
Le monde était pourtant si paisible autour. Les grands arbres de la forêt d’Irliscia oscillaient légèrement sous une brise légère, tandis que la mer continuait inlassablement de faire entendre le doux son du ressac. Et au milieu de tout ça, ces ridicules pantins qui agitaient leurs armes. Tout cela lui échappait.
Sur la dune, une silhouette s’effondra, transpercé par la lance d’un ennemi invisible. Au même moment, des cris de douleur se faisaient entendre. Jabus se figea.
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Mais que pouvait-il bien faire ? Seul, et à la vue de tous, l’endroit était bien trop dangereux. Son accoutrement bariolé tranchait d’ailleurs nettement avec la verdure environnante. Les humains ne lui feraient sans doute aucun mal, mais les orcs étaient sournois. Ils n’hésiteraient pas à s’en prendre à lui, aussi jeune soit-il. Peut-être avait-il même déjà été repéré.
Si Saelvarr Tha ne portait aucunement les humains dans son cœur, il n’était pas prêt à voir se produire un tel drame sous ses yeux. A cet âge, le jeune humain ne pouvait pas être foncièrement mauvais. Ou se trompait-il ?
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Dans un écran de fumée savamment concocté par l’elfe, Jabus disparut. Il reprit conscience, assis, le dos posé contre le tronc d’un arbre millénaire. Devant lui, une ombre se tenait. Plus il reprenait ses esprits, et plus il parvenait à distinguer de détails. Une chevelure claire, des oreilles en pointe. Il n’avait jamais vu d’elfe, mais les moqueries de son père à leur sujet lui avaient donné suffisamment de détails. Sans attendre, Saelvarr Tha s’approcha du jeune garçon :
- N’as-tu pas réalisé le danger dans lequel tu t’es fourré ? Si je n’avais pas été là, tu n’en serais peut-être pas sorti vivant !
L’elfe se savait un peu rude, mais cela était nécessaire. Et puis, c’était un humain. Il n’avait aucune envie d’être amical.
- Un danger ? Quel danger ? lui répondit timidement Jabus.
- Quel danger ? N’as-tu pas vu les ombres sur la dune ? Ces cris de haine ? Le claquement des épées ? Le bruit sourd des haches entamant les chairs ? rétorqua l’elfe, avec dégoût.
- Si, bien sûr, poursuivait le jeune garçon, toujours impressionné par son interlocuteur. D’où je viens, la guerre n’existe pas. C’est une chose du lointain, exotique, à peine perceptible. Pourquoi s’affrontaient-ils ? Et qui sont-ils ?
- Ce sont des orcs et des humains. Ils se détestent depuis des âges, et se massacrent pour l’illustrer. Et nous les détestons aussi, autant qu’ils nous détestent. Nous sommes différents, et cette différence suffit pour faire naître la méfiance, et la haine. C’est aussi simple et désolant que cela. Malheureusement, cela existe depuis la nuit des temps. Depuis que le Pohl et son apparence humaine ont fait porter sur une race entière les maux les plus sombres… Mais je ne veux pas t’embêter avec ça. Je ne devrais pas même pas te parler. Si l’on me voyait avec un humain, l’opprobre serait jeté sur ma famille. Que faisais-tu là d’ailleurs ? Et d’où viens-tu ?
L’homme avait à peine fini de lui poser ses questions que Jabus filait entre ses jambes, avant de disparaître.
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Le lendemain, Saelvarr Tha s’était de nouveau perché dans la canopée d’un arbre de la forêt, de laquelle il apercevait distinctement le bateau du jeune garçon. Sa rencontre de la veille lui avait laissé un goût d’inachevé. Le jeune garçon reviendrait-il ? Quelque part, il l’espérait. Après tout, lui aussi était curieux, et les quelques mots prononcés par le jeune homme l’avait titillé. D’où venait-il, et pourquoi ?
Toute la journée durant, il resta là, à guetter. Mais le bateau resta silencieux, régulièrement balancé au rythme des vagues qui venaient frapper sa coque. La journée prit fin, tandis que le soleil fuyait à l’horizon. C’est à ce moment pourtant qu’une silhouette émergea du pont, rapidement suivies de plusieurs autres. Il apercevait également d’autres formes, mais indistinctes à cette distance.
Le petit cortège progressa lentement mais sûrement en direction de la forêt. Pendant un instant, le jeune elfe s’inquiéta. Etait-ce une attaque ? Le cortège ne semblait pas réellement menaçant, avançait sans discrétion aucune, et à une vitesse très modérée. Si c’était un assaut, la stratégie d’attaque était à revoir – et pourtant lui-même n’y connaissait rien, s’affairant plutôt à concocter tout un tas de potions magiques. Sans grand succès jusque-là.
Il finit par reconnaître le jeune garçon, en tête, suivi de quelques hommes portant plusieurs sacs, et, à la grande surprise de l’elfe, de deux bêtes qu’il n’avait jamais vu auparavant. Le jeune garçon fit un signe de main, clairement destiné à l’elfe. « Comment est-ce possible ? » songea-t-il. La nuit était quasiment tombée, et l’elfe était dans l’ombre des feuillages. Il pensait être invisible à cette distance.
Puisqu’il était repéré, l’elfe redescendit des cimes et rejoignit la terre ferme. Quelques instants plus tard, le jeune homme arrivait à sa hauteur. Il se retourna, et fit un geste de la tête à ses comparses. Sans rechigner, ils rebroussèrent chemin aussitôt, laissant derrière eux les sacs et les deux bêtes.
- Je ne me suis pas présenté hier. Je suis Jabus, et j’arrive d’une île nommée Leiden. J’ai été imprudent hier, et je m’en excuse. J’ai préféré venir à une heure plus tardive aujourd’hui, afin que les combats aient cessé sur la dune. Ce que j’y ai vu hier m’a… Il s’arrêta un instant. Disons que je ne suis pas habitué à cela. Et je ne veux pas m’y habituer. J’ai bien compris que vous vous méfiiez de moi, mais je ne veux pas vous effrayer. Je suis de toute façon bien jeune et tout seul. En gage de paix, et pour vous assurer de ma confiance, je vous ai apporté quelques ressources de notre belle île du Leiden. Je ne crois pas qu’elles existent ici. Je crois, aussi, que vous m’avez sauvé la mise hier. C’est en quelque sorte un remerciement.
Le jeune elfe était étonné de l’élocution du jeune homme. S’il semblait la veille plutôt désorienté, il ne s’attendait pas à une telle sagesse. Il se retrouvait un peu en lui, à rejeter toute forme de guerre. C’est bien pour cette raison qu’il préférait concocter des mélanges au cœur de sa forêt, plutôt que d’aller livrer sa vie sur le champ de bataille.
- Je suis Saelvarr Tha, jeune elfe à la recherche d’un peu d’alchimie entre les races. Mais ça, tu l’avais peut-être déjà un peu saisi. Je te remercie pour tes présents, aussi inattendus que fascinants. Quels sont-ils ?
Le visage de Jabus s’illumina.
- Elles ont toutes des histoires fascinantes. Mais avant toute chose, j’ai un service à vous demander. Et ce n’est pas un petit service.
L’elfe le dévisagea un instant.
- Je t’écoute, lui lança-t-il, perplexe.
- J’aimerais passer quelques temps ici. Peut-être pourriez-vous être mon guide ? Je ne veux pas vous déranger. Mais j’ai bien conscience que rester seul à vadrouiller dans la région n’est peut-être pas l’idée la plus prudente qui soit…
Saelvarr Tha le contempla quelques secondes. Il prenait d’énormes risques à accepter. Les siens ne l’accepteraient peut-être pas. Et il détestait cela. Que faisait-il de mal, si ce n’est d’aider un autre être que lui ? Il en avait assez de cette guerre interminable et dénuée de sens. Peut-être fallait-il de petits gestes comme celui-ci pour commencer à faire changer les choses ?
- J’accepte, répondit-il simplement.
Et avec ces quelques mots, une grande aventure de plusieurs mois était sur le point de commencer. Comme une ombre, le jeune Jabus suivit l’elfe dans ses moindres escapades. Il était littéralement son ombre, se dissimulant au moindre bruit, gardant l’œil vigilant au moindre frémissement de feuille. Son flair était extraordinaire, et il savait que ce n’était pas un hasard.
Il y avait bien eu quelques frayeurs, mais le jeune garçon avait toujours su se débrouiller pour éviter tout imbroglio. Le jeune elfe lui en était reconnaissant. En plus de cela, le jeune garçon ne se contentait pas de se nourrir de tout ce qu’il observait. Il contribuait également, rendant les journées de Saelvarr Tha beaucoup plus agréables. Le soir, ils aimaient à se percher sur les cimes des arbres, au-dessus des champs de bataille qui se tenaient toujours plus au sud, et alors que le sable y était encore chaud du sang coulé dans la journée. Il n’y avait pas meilleur cadre pour prendre du recul sur ces conflits. De par sa jeunesse, Jabus était plein d’entrain et de fougue à l’évocation de ces sujets, convaincu que les choses pourraient changer. « Pourquoi se font-il la guerre ? » s’interrogeait souvent Jabus. L’elfe restait mutique, incapable de lui donner une réponse convenable. Il se contentait d’un long silence, jusqu’à ce qu’un autre sujet émerge de l’esprit du jeune garçon. Un soir, et après y avoir réfléchi, longuement, il lui répondit.
- Parce qu’on le leur a appris, Jabus. Parce qu’on me l’a appris. Nous avons été éduqués à haïr. Tous nos ancêtres ont été éduqués de cette manière. Cela remonte à si loin. Le Pohl a attisé les flammes et a définitivement créé un fossé entre nos races. Certains estiment que les braises étaient même déjà là.
- Mais comment peut-on être éduqué à haïr ? lança le jeune garçon, perplexe.
- Parce qu’on nous apprend des choses simples, faciles à appréhender. Ils nous expliquent sans détour que ces peuples ennemis nous tueront sans broncher, qu’ils tueront nos mères, nos pères, nos frères, et nos sœurs. Et ils illustrent cela par des histoires glaçantes que certains ont vécu. Quand tu es jeune, comment peux-tu remettre en cause ces choses ? Et tu ne le pourrais même pas, car elles sont vraies. Je risque peut-être ma vie à te parler, comme tu aurais risqué ta vie à errer seul dans les alentours. Tout le monde se lasse, au fond, mais personne ne remet en cause cette réalité. Surtout, le Pohl est toujours là, quelque part. Sa libération n’a certainement pas aidé à l’apaisement des tensions…
L’elfe n’était pas beaucoup plus âgé, mais il avait déjà perdu tout espoir face à ces batailles qui sévissaient depuis bien avant sa naissance. Elles étaient là, ancrées dans le paysage comme une montagne inamovible. Il savait qu’il y avait une autre voie, une autre manière de vivre, ensemble. Mais que beaucoup trop n’étaient pas assez éclairés pour le concevoir.
Jabus, en face de lui, l’avait écouté religieusement. A l’évocation de son père, il put difficilement contenir quelques sanglots. Saelvarr Tha le
remarqua et se reprit aussitôt.
- Trêve de ces sujets ! Parlons de choses plus intéressantes ! Tu ne m’as jamais raconté l’histoire de ces ressources du Leiden !
J’y pense souvent. J’aurais aimé les observer un peu plus longtemps.
Les ressources avaient en effet été ramenées dans la cale du bateau Leidith, l’elfe jugeant trop dangereux de les faire amener dans la cité elfe. Cela aurait éveillé bien trop de soupçons et de questions. Il y pensait souvent, dévoré par la curiosité. Comme lors du premier soir, le visage de Jabus s’illumina.
- Leurs histoires sont fascinantes ! Par où commencer… ? Ah oui ! D’abord, il y a ces sapins nains, dont j’ai ramené quelques graines. Comme ici, nous avons de nombreux sapins au Leiden, principalement sur les reliefs de l’île. Il y a pourtant un endroit où les sapins sont si denses, si étroitement proches les uns des autres, que la lumière ne filtre plus au sol. C’est la nuit complète. Lorsque vous vous y trouvez, seules quelques vagues lueurs transpirent à quelques encablures de là. C’est une sensation très étrange. Personne ne s’y aventure sans un flambeau. Au pied de ces sapins centenaires, d’autres sapins ont pourtant continué à pousser, sans aucune lumière. Les années n’y font rien, ils n’atteignent jamais plus de quelques mètres. Ce qui est fascinant pourtant, c’est qu’à l’exception de leur taille, ces sapins sont identiques à ceux qui atteignent plus d’une quarantaine de mètres. Leurs aiguilles, leurs écorces, leurs canopées, tout souligne que les années sont déjà passées par là. N’essayez par contre pas de les déterrer pour les installer ailleurs. Aucun rayon ne leur convient assez pour relancer leur croissance. Ils se contentent de dépérir. Cela dit, ils ne devraient pas être trop dépaysés ici, dans la forêt d’Irliscia, où la lumière est faiblarde.
- Fascinant ! Toi et tes comparses portiez également quelque chose de particulièrement lourd. Cela ressemblait vaguement à une roche ! répondit l’elfe.
- Oui, c’est notre fer météorique ! Pour une raison que nous ignorons, des corps célestes se sont régulièrement abattus sur les terres de Leiden. Les sols sont par endroit infestés de ces fragments tombés depuis des âges sur nos terres… Certains pensent que ces météores ne sont pas tombés ici par hasard, qu’ils sont peut-être un message venus de peuples lointains, attirés par la paix régnant au Leiden. Cela m’a toujours laissé perplexe. Si c’est un message, il manque un peu de subtilité… Enfin, pas complètement ! Partout où ces fragments remplissent les sols, de magnifiques plantes aux fleurs orangées naissent. Nous les avons appelés des astriums, en l’honneur des astres qui semblent nous les envoyer. Leur odeur est sans nul autre pareil. Cela me laisse toujours rêveur de penser que ces végétaux viennent de si loin, par-delà la voûte étoilée.
L’elfe l’écoutait attentivement, ses pensées s’évadant au gré de ce qu’il découvrait. Il poursuivit :
- Et il y avait ces deux animaux également ! Ils semblaient si majestueux. Ont-ils une histoire également ?
- Oui, c’est un couple de cerf leidiths. Ils sont grands, et imposent le respect. Ils sont même célébrés une fois l’an sur notre île ! Figurez-vous qu’ils se nourrissent exclusivement des feuilles d’astrium. Sans elles, ils ne peuvent survivre. Certains ont essayé un jour de les en éloigner, et la légende raconte que les cerfs ont su retrouver leur chemin jusqu’à elles. Nous avons dû constituer un joli stock pour qu’ils supportent le voyage.
- Si je comprends bien, à l’exception peut-être de vos sapins nains, toutes ces ressources sont comme liées les unes aux autres !
- Détrompez-vous ! Les cerfs mâles ont des bois d’une beauté sans pareille, et lors de la période de frayure, il n’y a étrangement que ces sapins nains qui font l’affaire. On appelle cela « la Grande Procession ». Tous les mâles du Leiden rejoignent les reliefs, en quête de cette zone où les sapins nains prospèrent. Cette période de frayure, où les bêtes frottent leur bois sur l’écorce des arbres, précède celle du rut. Sans elle, la lignée s’éteindrait rapidement. C’est un équilibre à la fois subtil, magique, et fragile. La roche, le végétal, l’animal, si différents et pourtant si nécessaires les uns aux autres. Tout cela grâce à nos fers météoriques. Ces ressources font la prospérité de notre île, et pourtant, d’une certaine manière, elles nous viennent de peuples étrangers, inconnus. Mais personne ne le voit ainsi.
L’elfe était songeur. L’histoire de ces ressources faisait écho avec celles des peuples. Il ignorait si le jeune Jabus le percevait ainsi, mais il n’osa pas lui poser la question. Le jeune garçon poursuivit.
- C’est aussi pour cela que j’ai souhaité vous apporter ces ressources-ci, en particulier. Elles pourraient vous apporter davantage de prospérité, à condition bien sûr de les garder ici, dans votre forêt, jamais trop éloignées les unes des autres. Quiconque souhaiterait emporter un sapin nain ne saurait le faire grandir ailleurs. Les astriums ne sauraient fleurir qu’aux abords de gisements de fers météoriques. Les cerfs se laisseraient mourir sans quelques-unes de leurs fleurs. Et pour ce que j’en sais, vous êtes désormais le seul à détenir ces précieuses informations pour les faire prospérer. Qui sait, vous apprendrez peut-être aussi plus de choses que nous sur elles !
L’elfe devait être un guide, mais le garçon lui en apprenait tant. Il imaginait déjà ces ressources sur ces terres, et rêvait à leurs mystérieux pouvoirs. L’idée le dévora tellement qu’il demanda à Jabus de les lui apporter. Il était grand temps qu’il soit présenté à son peuple elfe.
Ce fut chose faite le lendemain. Les elfes vivant en harmonie avec leur nature, plus que tout autre peuple, la découverte de ces nouvelles ressources fit l’unanimité. Le jeune Jabus fut accueilli à bras ouverts par la communauté. Du moins, en apparence.
[***]
Un matin, alors qu’il se baladait dans la cité elfe, à la recherche de Saelvarr Tha, le garçon surprit un échange entre deux elfes. Plusieurs fois il avait échangé avec eux, et rien ne laissait dissimuler une gêne quelconque. Dès les premiers mots, il déchanta.
- Cela ne me rassure pas du tout de le savoir dans les parages. Et s’il révélait des choses sur notre peuple ? C’est une menace que Saelvarr Tha fait porter à toute la communauté… Le garçon doit partir.
- Il ne voudra jamais l’obliger à partir. Pas avec les ressources qu’il a apporté. Ou alors il lui demanderait de repartir avec… Tu connais Saelvarr et sa droiture légendaire, rétorqua l’autre. Et il n’est pas question de laisser partir ces précieuses ressources !
- Et bien nous trouverons de quoi faire pression sur lui. Et le menacer. Tu verras qu’il n’hésitera pas longtemps. J’ai déjà quelques idées…
Le reste devint inaudible tandis que les deux elfes s’éloignaient. Le garçon avait les larmes aux yeux. Partout où une lueur d’espoir se dessinait, un voile d’hypocrisie et de haine venait la recouvrir. Il se sentait affreusement mal d’avoir mis son ami elfe dans une telle situation. Il n’était pas question que cela dure.
Jabus rebroussa chemin, et reprit une dernière fois la route de la plage. Armé de tout le savoir que Saelvarr Tha lui avait transmis et enseigné pendant de longs mois, il ne reviendrait pas. Il aurait aimé pouvoir le saluer une dernière fois, le remercier, et son cœur se serrait à l’idée de ne pas pouvoir le faire. Mais il n’était pas question de faire peser une quelconque menace sur l’elfe et sa famille. Il le connaissait suffisamment pour savoir qu’il se serait battu auprès des siens pour ne pas qu’il parte. Pas de cette manière. Il aurait pu laisser un mot, mais il aurait probablement fini entre les mauvaises mains. Il ne se laissa de toute façon pas le temps de trop réfléchir, tant il était bouleversé par ce monde qui continuait de le décevoir. Il n’en voulait même pas aux elfes, qui se comportaient comme on le leur avait appris. Ils n’avaient pas l’expérience de la paix, et cela faisait toute la différence. Au fond de lui, le jeune homme portait presque la responsabilité qui incombait à son père. Il détestait cela.
Tandis que la coque du bateau brisait déjà les flots, Jabus se retourna une dernière fois, vers Irliscia. Il aperçut ces hommes et ces orcs, qui encore et toujours s’affrontaient dans des luttes vaines. Ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourrait y mettre un terme. D’un geste de la main, il salua cette terre qu’il laissait derrière lui. Il espérait que peut-être, juché sur une branche, Saelvarr Tha l’apercevrait.
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